Coopérer dans un ministère ? Témoignage de Xavier Vitry

Témoignage Actuellement membre de la délégation ministérielle au numérique en santé. Xavier est venu à la coopération par son implication associative sur une monnaie locale et un besoin de consolider l'animation d'un projet professionnel. Dans ce cadre, il a suivi Animacoop à Lyon à l'automne 2019. Suite à cette formation, il a demandé l'aide de formateur·ices Animacoop pour "créer une culture commune de la coopération" dans le cadre de la création d'un nouveau service au ministère de la Santé ; le Service à compétence nationale des systèmes d'information mutualisés des agences régionales de santé (SCN SIM ARS pour les intimes ;-) )

Interview réalisé par Romain Haonfaure et Jean-François Rochas-Parrot (les écoloHumanistes)

Comment s'organise le service dans lequel tu travailles aujourd'hui ?

Je travaille dans la délégation en charge des questions du numérique en santé. Cette délégation a grandi rapidement, passant de 10 à 40 personnes en seulement 2 ans. Il y a donc eu un fort enjeu à intégrer les nouveaux et travailler ensemble. De plus, nous sommes en interaction permanente avec nos partenaires, ce que nous appelons notre écosystème.

Sur la volonté des 2 responsables, il n'y a pas d'organisation en pyramide, pas de hiérarchie mais plutôt une organisation en cercle avec des contributeurs et des chefs de projet. Selon les projets, nous pouvons être contributeur ou en responsabilité. A l'arrivée, nous croisons les responsabilité. Un exemple, nous menons les entretiens annuels d'évaluation de manière croisée, pouvant être parfois écouté et écoutant. Nous avons une raison d'être qui pose notre philosophie et nos valeurs de travail comme la sincérité et le fait que nous soyons des citoyens engagés.
L'équipe est très hétérogène en terme de parcours individuel et d'histoires professionnelles et cette diversité est une véritable force. Des agents depuis longtemps au ministère et qui connaissent le fonctionnement de la machinerie qui l'anime. D'anciens entrepreneurs qui connaissent la réalité d'un projet. Des profils au parcours international ou local. C'est extrêmement intéressant et riche de diversité.

Notre feuille de route est co-construite. La nouvelle, qui conduira nos actions pour les prochaines années, est d'ailleurs en construction. L'objectif est d'emmener tout le monde, que chacun se sente à l'aise de porter cette feuille de route. L'important est que tout le monde soit ok avec, avant la proposition de feuille de route. Ensuite, nous poursuivrons les ajustements avec l'écosystème à partir d'une proposition commune de l'équipe.

L'esprit de coopération s'apprend. C'est d'abord un travail sur soi. Le niveau de chacun est varié selon leur parcours, leurs rencontres et leurs appétance. Le point commun de chacun est la curiosité pour ces méthodes et une compréhension réelle de l'intérêt qu'elles représentent. Ce n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre, mais ça se pratique, en particulier dans nos séminaires d'équipes.
Bien sûr, dans les recrutements, les expertises et compétences sont importantes, mais c'est aussi, peut-être surtout l'envie d'être dans cette ambiance et cette coopération. ça peut aussi, parfois, déstabiliser des personnes très compétentes qui ne sont pas prêtes.

Au-delà d'amener la coopération en interne, comment cette dynamique est possible avec les parties prenantes ?

Personnellement, mon idée est que les autres aussi sortent de leur cadre institutionnel. Ce n'est pas toujours possible, mais on peut toujours exprimer de la conviction dans sa façon de faire. Je commence par tomber mon propre masque institutionnel, en respectant toujours l'institution bien sûr, sortir d'une posture liée à un poste ou à une mission. Je raconte ce qui me plaît dans ce projet et pourquoi j'ai envie de m'y engager. Généralement cela a un effet boule de neige. Si tout se passe bien ensuite, en groupe de travail, on est là pour un projet et pas pour défendre sa posture ou son organisation.

Il faut aussi se rendre compte que c’est un vrai changement de culture. L'idée est donc d'amener petit à petit des méthodes pour acculturer les autres à la coopération. Mais ce changement de posture nous concerne aussi personnellement en tant qu'individu. De mon côté, j'ai changé de posture vis à vis des autres. Historiquement, j'avais comme attitude professionnelle d'être contre, plutôt critique. A voir ce qui n'était pas fait plutôt que célébrer les réussites. Je focalisais beaucoup sur le verre à moitié vide. Maintenant, je construis pour et je me concentre sur les avancées et les réussites. C'est aussi beaucoup dans l'esprit de l'équipe avec laquelle je travaille. Personne ne se lève le matin pour faire exprès de vous ennuyer ou de vous gêner. Ce lâcher prise m'aide à comprendre la posture des autres et les raisons qui font qu'ils agissent de telle ou telle manière.

Ce lâcher-prise se retrouve également sur le contenu du groupe de travail. Je ne planifie pas (plus :-)) le résultat d'une réunion. J'essaie de focaliser sur les enjeux et c'est au groupe de trouver ensemble la meilleure solution, ou en tout cas celle qui convient. Je me sens plus garant du cadre.

Mais comment "gérer" les râleurs ou ceux qui n'ont pas envie d'embarquer ?

D'abord, quand je suis en responsabilité d'une réunion ou d'un projet, je n'impose à personne de venir ou de rester. De façon générale, je n'empêche personne de venir contribuer. Vous êtes là par choix. Ensuite, il y a des techniques d'animation qui permettent d'essayer de canaliser les différentes postures que l'ont peut adopter par rapport à une proposition. Par exemple pour m'assurer que tout le monde parle et pas seulement les râleurs, je propose les Chapeaux de Bono ou la mise en place des accords de groupe. C'est très utile. Après cela on est tous co-responsables du cadre, faire la police n'est pas agréable mais les conditions sont possibles pour recadrer quand il faut si on a définit collectivement le cadre et que cette responsabilité est collective.

Pour ce qui est d'embarquer les gens, j'essaie de jouer sur la confiance et/ou le droit à l'erreur, de se laisser le droit d'essayer. Quand on se connait un peu, un "faites-moi confiance pour tenter quelque chose et si ça échoue, finalement ce n'est pas si grave" peut marcher. Faire réussir à admettre le droit à l'erreur parfois est un vrai challenge, mais c'est aussi important d'explorer des impasses, on peut aussi y trouver des trésors ou des solutions.

Enfin, avant de demander aux autres d'avoir confiance, il faut avoir confiance en ce qu'on propose. La confiance en soi vient de la maitrise des méthodes et de l'expérience. Et important : se trouver des allié·es !
Attention à l'auto-censure. Ne pas s'interdire des orientations parce qu'on pense que les autres / son chef s'attend à un rendu/retour/animation particulier. Il faut oser proposer et ne pas se vexer si notre proposition n'est pas retenue, même si on est certain d'avoir raison.

Pour revenir au quotidien, tu aurais des retours concrets facilitant la coopération à nous transmettre ?

Pendant mon parcours à l'ARS, j'ai conçu et développé le projet Atlasanté (un projet de cartographie, pour faire simple) pendant environ 10 ans. Au démarrage, pour éviter que cette idée meurt dans l'oeuf, je l'ai lancé en sous-main avec 2/3 autres personnes. Une fois le projet bricolé, c'était la preuve que c'était possible et un budget y a été alloué.
À la fin, j'avais une forme de lassitude et pense que je devenais dangereux pour le projet. J'avais envie de changer et j'ai réalisé que c'est différent de construire un projet et de le faire vivre : ce sont des compétences et, surtout, des appétences différentes. Je préfère créer un projet, trouver des solutions à des sujets impossibles. Le côté un peu savant fou, expérience, débrouille. Maintenant, j'ai passé la main à quelqu'un qui a de l'appétence pour ça qui fait grandir le projet avec beaucoup de compétences et d'attention. C'est très chouette de voir le projet grandir. D'ailleurs, aujourd'hui quelqu'un s'est passionné pour l'animation des réunions de ce projet et d'impulser une dynamique au groupe et de faire les choses différemment. Les collègues adhèrent plutôt bien, aussi parce que c'est toujours ludique.

Une idée pour bien démarrer la coopération dans un projet : animer la réunion un peu différemment à chaque fois. Intégrer des petites choses comme les accords de groupe, des temps de travail en sous-groupe, etc. Faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux.
Quand je suis responsable de l'animation, je le fais… sans forcément annoncer "on va faire différemment". Mes formateurs appellent ça "faire vivre des expériences irréversibles de coopération". C'est vécu, on ne pourra pas revenir dessus. Et le plus souvent, ça prend bien. Si vous demandez avant, on vous répondra qu'on n'a pas le temps. Et puis, avec le temps, les mêmes personnes pourraient venir préparer ces temps d'animation avec vous. ;-)

Quelques astuces pour coopérer :
  • Astuce 1 : Faire ensemble pour préparer, co-animer ou tout simplement avoir des alliés lors des réunions.
  • Astuce 2 : Prévoir du temps avant pour bien préparer. Plus le cadre est maitrisé, plus on est à l'aise pour faire différemment et laisser de la place à l'imprévu et aux bonnes idées.
  • Astuce 3 : Pour valider une décision en réunion, je ne demande jamais si les gens sont d'accord mais si quelqu'un est contre avec des arguments (décision par consentement).


Quelques autres outils que j'utilise régulièrement :
  • accélérateurs de projet
  • chapeaux de bono
  • souvenirs du futur
  • météo et brise-glace
  • accords de groupe / cadre se sécurité


Des liens utiles (issus du public) pour légitimer son action :
Auteur de la fiche Romain & Jeff - Les écoloHumanistes
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