{"bf_titre":"Et si nous n'\u00e9tions pas si individualistes ?","bf_description":"

Quand les hommes se choisissent entre eux pour s'allier

\r\nBeaucoup de strat\u00e9gies prennent en compte l'\u00e9go\u00efsme de l'homme : par exemple les syst\u00e8mes qui le contraignent \u00e0 oeuvrer pour une cause commune ou bien l'\u00e9conomie qui permet de n\u00e9gocier un prix d'\u00e9change en fonction de l'offre et de la demande avec des \"agents\" individualistes et rationnels? \r\nPour ma part, je me suis int\u00e9ress\u00e9 aux strat\u00e9gies de coop\u00e9ration en partant du m\u00eame pr\u00e9suppos\u00e9 : si l'homme a un c\u00f4t\u00e9 \u00e9go\u00efste et un cot\u00e9 altruiste, il faut avant tout chercher \u00e0 faire converger son int\u00e9r\u00eat et l'int\u00e9r\u00eat collectif. Pire : quelqu'un qui serait altruiste, en cas de conflit d'int\u00e9r\u00eat, agirait pour l'int\u00e9r\u00eat des autres, au d\u00e9triment de son propre int\u00e9r\u00eat. Il aurait donc un d\u00e9savantage au sens darwinien...\r\n\r\n
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\r\n\r\nPourtant trois informations dont j'ai eu r\u00e9cemment connaissance montrent que l'homme (tout comme certains animaux) peut faire des choses qui vont apparemment \u00e0 l'encontre de ses int\u00e9r\u00eats pour obtenir quelque chose de vital : pouvoir s'allier avec d'autres.\r\n

M\u00eame les animaux sont parfois altruistes

\r\nLes crat\u00e9ropes sont des oiseaux qui nourrissent les nich\u00e9es des autres membres du groupe, se prot\u00e8gent mutuellement. Beaucoup d'autres esp\u00e8ces ont des membres qui acceptent d'\u00eatre des sentinelles pour les autres. Ils montrent ainsi aux autres leur utilit\u00e9 \u00e0 \u00eatre int\u00e9gr\u00e9s dans une coalition.\r\n

L'homme-qui-dit-tout-ce-qu'il-sait face aux profiteurs

\r\nL'homme aussi fait des choses qui semblent aller \u00e0 l'encontre de son int\u00e9r\u00eat. Jean-Louis Dessalles de Telecom Paris, dans une tr\u00e8s int\u00e9ressante conf\u00e9rence appel\u00e9e \"le langage humain, un paradoxe de l'\u00e9volution\", montre que le langage devrait normalement d\u00e9savantager celui qui l'utilise : celui qui parle partage ses infos alors que celui qui \u00e9coute dispose \u00e0 la fois de ses propres information et de celles des autres.\r\nPourtant nous descendons d'un homme qui parle. Cette invention fondamentale qui a eu lieu il y a 100 ou 200 000 ans est m\u00eame pour Jacques Monod dans \"le hasard et la n\u00e9cessit\u00e9\" la cause de notre intelligence. Quel avantage darwinien la nature peut-elle bien donner \u00e0 celui qui parle et donne ses informations aux autres ?\r\n

Deux tentatives d'explication

\r\nOn ne peut pas invoquer simplement l'avantage collectif pour l'esp\u00e8ce car cet argument ne fait pas le poids face \u00e0 l'inconv\u00e9nient pour l'individu de donner sans attendre de retour.\r\nAutre tentative d'explication : dans l'approche de l'\u00e9volution par la th\u00e9orie du jeu, d\u00e9velopp\u00e9e par John Miller Smith, il est possible de faire quelque chose (par exemple donner une information) pour obtenir quelque chose de l'autre (approche \"donnant\/donnant\"). Cela n\u00e9cessite de s'adresser de pr\u00e9f\u00e9rence \u00e0 ceux que l'on pense capable de \"jouer le jeu\", mais aussi d'avoir un syst\u00e8me de d\u00e9tection des tricheurs (une approche d\u00e9velopp\u00e9e par W.D. Halmilton).\r\nMais la th\u00e9orie des \"barbes vertes\" met en image la difficult\u00e9 des altruistes de se reconna\u00eetre entre eux :\r\n\/\/\"supposons que les altruistes portent, pourquoi pas, une barbe verte pour s'identifier les uns les autres. Les quelques \u00e9go\u00efstes de la m\u00eame esp\u00e8ce qui portent \u00e9galement des barbes vertes auront la possibilit\u00e9 de tricher... Et r\u00e9ussiront encore une fois aux d\u00e9pens des altruistes !\".\/\/\r\nPourtant, des chercheurs du laboratoire d'\u00e9cologie de l'Universit\u00e9 Pierre et Marie Curie (ENS-CNRS) et du Royal Holloway College (Londres, Royaume-Uni) ont pu d\u00e9montrer r\u00e9cemment que les altruistes pouvaient garder une longueur d'avance sur les \"tricheurs\" en \"modifiant r\u00e9guli\u00e8rement la couleur de leur barbe\". Les simulations montrent que dans ce cas, les altruistes peuvent gagner un avantage concurrentiel non seulement face aux \u00e9go\u00efstes mais m\u00eame face aux \u00e9go\u00efstes tricheurs...\r\nMalgr\u00e9 tout : l'approche donnant\/donnant, si elle permet de comprendre certains comportement altruistes, ne fonctionne pas cependant avec le langage car on s'adresse tr\u00e8s souvent \u00e0 un ensemble de personnes.\r\n

Le sage montre la Lune et le fou regarde le doigt

\r\nJean-Louis Dessalles propose une troisi\u00e8me hypoth\u00e8se tr\u00e8s s\u00e9duisante. Il constate que le petit d'homme, m\u00eame avant qu'il ne sache parler, \u00e0 tendance \u00e0 montrer du doigt, c'est-\u00e0-dire \u00e0 partager ses informations. Ce n'est pas le cas des animaux en g\u00e9n\u00e9ral.\r\nUne exp\u00e9rience illustre cela :\r\n\/\/Lorsque l'on met de la nourriture sous un bol retourn\u00e9 et rien sous un autre : montrer le bon bol ne provoque rien chez un chimpanz\u00e9 alors que le mouvement d'aller prendre le bon bol provoque la r\u00e9action de l'animal pour aller chercher la nourriture. L'enfant au contraire comprendra l'information simplement en montrant un bol du doigt.\/\/\r\nLa diff\u00e9rence est que l'animal n'int\u00e8gre pas en g\u00e9n\u00e9ral dans sa communication l'information donn\u00e9e sans attente de retour. La communication sert \u00e0 montrer sa force physique, son attrait sexuel mais pas des choses qui ne vont pas \u00eatre utiles \u00e0 celui qui communique.\r\nL'homme communique \u00e9galement comme cela, mais il va \u00e9galement y ajouter des informations qu'il donnera sans attendre d'autres informations en retour. En faisant cela, il va montrer aux autres des qualit\u00e9s qui le rendent \u00e0 m\u00eame d'\u00eatre int\u00e9gr\u00e9 dans le groupe (abn\u00e9gation, altruisme, sinc\u00e9rit\u00e9...).\r\n

L'avantage en terme de survie

\r\nSi l'homme passe environ 20% de son temps \u00e9veill\u00e9 \u00e0 communiquer avec les autres en leur donnant des informations \"\u00e0 fond perdu\", c'est sans doute parce qu'il en tire un avantage crucial. Celui-ci doit compenser l'inconv\u00e9nient qu'il y a de se retrouver parfois \u00e0 faire des actions pour l'int\u00e9r\u00eat du groupe mais \u00e0 son propre d\u00e9triment.\r\nL'\u00eatre humain a peu de chances de survivre seul. Mais contrairement \u00e0 d'autres animaux, il s'unit moins naturellement aux autres (en dehors des membres de sa famille). Il pourrait alors avoir d\u00e9velopp\u00e9 une capacit\u00e9 de langage \u00e9labor\u00e9 afin de pouvoir donner des informations et ainsi montrer qu'il peut \u00eatre accept\u00e9 dans le groupe.\r\nLes chimpanz\u00e9s ne savent monter des coalitions qu'\u00e0 deux ou trois (\u00e0 ne pas confondre avec la meute ou le troupeau : dans une coalition, les individus se sont choisis entre eux). L'homme, probablement gr\u00e2ce au langage, est capable de faire des alliances avec plus de personnes. Dans un petit groupe, c'est le choix force individuelle qui apporte le plus \u00e0 l'ensemble ; dans un grand groupe c'est le nombre qui donne la force et donc la capacit\u00e9 des membres \u00e0 coop\u00e9rer ensemble.\r\n

Le conflit d'int\u00e9r\u00eat et la pr\u00e9somption d'altruisme

\r\nCette approche pourrait expliquer une particularit\u00e9 des groupes : en cas de conflit d'int\u00e9r\u00eat, il y a une croyance inconsciente que la personne va d\u00e9fendre l'int\u00e9r\u00eat du groupe \u00e0 son d\u00e9triment. Bien s\u00fbr, lorsque l'on en discute en pleine consciente on se rend compte que ce n'est pas forc\u00e9ment le cas.\r\nCela a une cons\u00e9quence f\u00e2cheuse : lorsque quelqu'un se retrouve en conflit d'int\u00e9r\u00eat, il ne peut pas dire aux autres \"j'ai un probl\u00e8me, je ne peux pas agir dans l'int\u00e9r\u00eat du groupe\". Pourtant, en parler permettrait dans la plupart des cas de trouver une troisi\u00e8me voie qui permettrait de r\u00e9concilier les int\u00e9r\u00eats individuels et collectifs ; mais cela signifierait que l'on n'a pas uniquement une position altruiste, contrairement \u00e0 ce que nous avons montr\u00e9 inconsciemment par notre communication pour \u00eatre accueilli dans le groupe.\r\nAinsi, un des probl\u00e8mes qui rend le plus difficile la cohabitation des hommes entre eux est qu'en cas de conflit d'int\u00e9r\u00eat, il n'est pas possible d'en parler. Nous restons dans le non-dit et m\u00eame parfois dans l'inconscience (par exemple avec des r\u00e9actions de col\u00e8re que nous cherchons \u00e0 justifier par des causes objectives alors qu'elles sont le r\u00e9sultat d'autres causes dont nous ne sommes pas pleinement conscient...). Ce non-dit nous rend difficile la r\u00e9solution des in\u00e9vitables probl\u00e8mes de la vie en groupe. Il semble venir de ce qui nous permet justement de nous r\u00e9unir : notre facult\u00e9 \u00e0 donner des informations gratuitement pour montrer notre capacit\u00e9 \u00e0 \u00eatre choisi pour participer \u00e0 une coalition !\r\n

Hume et la partialit\u00e9 de l'homme

\r\nDans une pr\u00e9sentation audio sur \"artifice et soci\u00e9t\u00e9 dans l'oeuvre de Hume\" (anthologie sonore de la pens\u00e9e fran\u00e7aise), Gilles Deleuze montre que pour David Hume, l'homme n'est pas \u00e9go\u00efste mais partial. Cela veut dire qu'il a une sph\u00e8re de sympathie privil\u00e9gi\u00e9e.\r\nPour Hume, il existe trois types de sympathie : avec nos proches, avec nos parents et avec nos semblables. Ils correspondent aux trois principes d'association qu'il a identifi\u00e9 dans ses travaux (en particulier sur l'association des id\u00e9es) : la ressemblance, la continuit\u00e9 et la causalit\u00e9 commune.\r\nLe probl\u00e8me moral devient alors non pas de g\u00e9rer l'\u00e9go\u00efsme (ce qui est le point de d\u00e9part du contrat qui est souvent consid\u00e9r\u00e9 comme la base de la soci\u00e9t\u00e9 et de ses institutions, en particulier chez ses contemporains du XVIIIe si\u00e8cle), mais plut\u00f4t de d\u00e9passer ","checkboxListeThematique":"5","bf_author":"Jean Michel Cornu","listeListeLicence":"1","checkboxfiche8":"RomaiN","checkboxListeBrouillon":"1","id_typeannonce":"11","id_fiche":"EtSiNousNEtionsPasSiIndividualistes","date_creation_fiche":"2018-09-16 22:04:03","statut_fiche":"1","imagebf_image":"EtSiNousNEtionsPasSiIndividualistes_image_bf_imageindividualisme_jmt-29.jpg","date_maj_fiche":"2018-12-09 17:52:13"}